La culpabilité
J'entends souvent des adolescents ou des adultes à haut potentiel me dirent à quel point ils culpabilisent pour tout et rien. Cette tendance est en rapport avec leur manque de confiance en soi qui leur fait penser qu'elles ne sont pas de bonnes personnes et avec leur souci du perfectionnisme qui les poussent à vouloir toujours atteindre la perfection et donc à se comporter de la meilleure manière possible.
J'avais écrit un article sur un autre de mes sites. Je pense qu'il a toute sa place sur ce site dédié aux problématiques des surdoués :
La culpabilité est une émotion humaine normale. Elle consiste à avoir des regrets en rapport avec nos valeurs morales. Elle nous indique la limite entre ce que nous pouvons faire et ce que nous ne devons pas faire. Elle permet d’éviter de faire du mal et incite à s’améliorer.
La culpabilité est une émotion qui apparait très tôt dans le développement du petit enfant. Elle est issue de l’ambivalence : le petit enfant s’en veut de parfois détester sa mère qu’il adore par ailleurs.
De quoi pouvons-nous nous sentir coupable ?
Nous ne pouvons pas contrôler nos émotions, elles sont indépendantes de notre volonté. Nous ne pouvons pas faire exprès d’être contents, tristes, en colère, angoissés, effrayés… Nous ne pouvons pas nous empêcher de ressentir une émotion, même si, dans une certaine mesure, il est possible de se raisonner pour ressentir moins fortement une émotion trop intense.
Nous ne sommes donc pas coupables de ce que nous ressentons. Personne n’a le droit de nous reprocher nos émotions.
De même, nous avons le droit de penser librement et même d’avoir de mauvaises pensées, si celle-ci restent secrètes et ne donnent pas lieu à des actes répréhensibles. Nous ne sommes pas coupables si nous avons de mauvaises pensées, haineuses ou égoïstes. Ça arrive à tout le monde. Certains acceptent leurs mauvaises pensées, d’autres se les cachent ou les transforment en pensées contraires : on ne veut pas s’avouer qu’on n’aime pas une personne alors on développe une peur excessive qu’il lui arrive quelque chose. C’est alors notre sentiment de culpabilité qui s’exprime.
Personne n’a le droit de nous reprocher nos pensées, sauf si nous les exprimons. Ce sont alors des paroles et donc des actes. Parler, c’est déjà agir. Des paroles, contrairement à des pensées, peuvent nuire et blesser.
Nous ne devons pas non plus nous reprocher nos échecs, nos erreurs, nos imperfections. Personne n’est parfait et chacun a le droit de se tromper, de ne pas toujours être au top. De même, il est parfaitement injustifié de se sentir coupable d’être le seul survivant d’un accident qui a tué tous les autres passagers.
Nous n’avons pas à nous sentir coupables de nos émotions et de nos pensées. Seuls nos actes peuvent être jugés et nous être reprochés.
Mais pas n’importe quels actes évidemment. Seuls les actes qui font du tort sont répréhensibles, mais pas non plus tous nos actes préjudiciables : nous pouvons nous sentir coupables uniquement si nous n’avons pas d’autres choix ou si ce n’est pas pour nous protéger.
Exemples de situations où nous n’avons pas le choix : il est normal de faire du mal physiquement lorsque l’on doit faire une piqûre pour soigner, gifler une personne qui tombe dans les pommes pour la réanimer, casser une côte lors d’un massage cardiaque trop vigoureux… Il est normal de faire du bruit et déranger les voisins lorsque nous avons des travaux à faire : construction, tonte du gazon, taille des haies…
Il n’est pas normal de faire du mal physiquement si nous avons le choix de ne pas en faire : frapper un enfant, agresser une personne qui nous contrarie…
Il n’est pas normal de faire du bruit à trois heures du matin alors que nous pouvons éviter d’écouter de la musique à cette heure-là.
Exemples de situations où il est normal de faire du tort, pour nous protéger : refuser une activité qui nous déplait. Dans ce cas, cela risque de décevoir la personne qui proposait cette activité. Si l’on accepte, on risque de le regretter, de ne pas avoir de temps pour une activité plus urgente… ça peut nous porter préjudice. Dans ce cas-là, accepter contre notre gré revient à se pénaliser soi-même. Pour se « protéger », il vaut mieux refuser et ainsi risquer de blesser ou décevoir l’autre. On n’a absolument pas à culpabiliser de sa déception, car il ne faut pas tout accepter pour faire plaisir aux autres. Il faut aussi penser à soi.
Il y a bien sûr une nuance entre un ami qui aimerait qu’on fasse une activité avec lui et un ami qui a besoin d’aide. Dans ce dernier cas, il est normal de culpabiliser si nous laissons un ami dans le besoin.
Beaucoup de parents culpabilisent au sujet de leurs enfants : telle mère se sent coupable d’abandonner son enfant à la crèche pour aller travailler. Telle autre se sent coupable de le faire pleurer en le frustrant. Ces deux mères n’ont pourtant pas le choix. La première doit aller travailler. La seconde doit élever son enfant, lui donner de bonnes habitudes, donc le frustrer.
La plupart des gens considèrent que c’est mal de mentir et se sentent coupables lorsqu’ils mentent. Il y a pourtant des situations où le mensonge est bénéfique lorsqu’il sert à protéger une personne ou une relation. On protège une personne en lui cachant certaines vérités difficiles à entendre ou en mentant à son sujet (les justes pendant la seconde guerre mondiale, qui mentaient à propos des juifs qu’ils cachaient). On protège une relation avec une autre personne, en évitant d’être trop franc, sans quoi la relation pourrait être mise à mal. Dire la vérité peut blesser et briser un lien : par exemple, dire à votre belle-mère tout ce que vous pensez d’elle ne peut qu’abimer vos rapports, il vaut mieux lui faire croire que vous l’appréciez, même un tout petit peu. Mentir n’est donc pas toujours « mal ».
En résumé, ce qui doit faire culpabiliser, ce n’est pas la nature des actes, mais la raison pour laquelle on les a faits. Pour prendre un exemple extrême : il y a une différence entre tuer son enfant en fin de vie ou polyhandicapé pour lui éviter des souffrances et le battre mortellement pour le punir.
Pourquoi culpabilisons-nous ?
C’est bien sûr le résultat de notre éducation et de notre culture. Le degré de culpabilité est donc différent d’un pays à l’autre et d’une personne à l’autre.
Culpabiliser est un sentiment indispensable au bon fonctionnement de notre conscience morale. Les personnes qui ne culpabilisent pas sont dangereuses, car elles peuvent faire beaucoup de mal sans scrupule et donc sans limite. C’est le cas des psychopathes et des pervers.
Certaines personnes culpabilisent cependant de façon excessive, sans doute pour diverses raisons : leur éducation a été très exigeante, elles ont peu d’estime de soi et se dénigrent volontiers, elles sont perfectionnistes et s’accusent facilement de ne pas faire assez bien…
Nous avons tendance à faire beaucoup de reproches à nos enfants et à nos élèves. Nous pensons rarement à les féliciter, alors que les critiques nous viennent spontanément.
Le système scolaire français est également plus porté sur le reproche que sur l’encouragement : une erreur est appelée « une faute », considérée comme « mal » et à éviter absolument. Dans d’autres pays (Scandinavie), l’erreur est un moyen de comprendre comment faire mieux et n’est pas perçue de façon péjorative. C’est un tremplin pour s’améliorer. De même, les enfants ne sont pas sanctionnés par un redoublement, ils passent tous de classe en classe et bénéficient d’un programme adapté, ce qui évite la perte de confiance en soi et la culpabilité de ne pas réussir comme les autres.
Autre situation : un élève a un problème ou pose problème, car il est distrait, s’agite, se comporte mal. Au lieu de comprendre pourquoi et trouver avec lui les solutions pour régler ce problème, on a tendance à lui faire des reproches et à le culpabiliser, quand bien même il n’y serait pour rien d’être hyperactif, dyslexique, dépressif… Un élève en difficulté est déjà en souffrance de ne pas être en réussite, il est doublement injuste de le lui reprocher et de le faire culpabiliser.
Toutes ces mauvaises habitudes éducatives favorisent la tendance à culpabiliser à tort.
Faire culpabiliser l’autre est une façon de prendre le pouvoir sur lui et le rendre plus docile : c’est un des modes d’action du pervers narcissique. Attention de ne pas renforcer la culpabilité chez nos enfants, afin que, plus tard, ils ne se torturent pas inutilement en culpabilisant systématiquement et pire, qu’ils ne tombent pas dans le piège d’un pervers narcissique.
Faut-il se sentir coupable ?
Même si la culpabilité atteste de notre conscience morale, il n’est pas indispensable de culpabiliser et parfois même, cela peut être néfaste.
Prenons l’exemple d’une famille qui travaille beaucoup et n’est pas disponible pour s’occuper des enfants. Souvent, dans ce cas-là, les parents culpabilisent et ont tendance à vouloir compenser ce manque de temps en offrant beaucoup de cadeaux ou en étant trop laxistes (« On n’est jamais là. Quand on est avec eux, ce n’est pas pour les contrarier »).
Le problème, c’est que cette culpabilisation n’est bonne ni pour les parents (qui s’en veulent), ni pour les enfants : ils sont trop gâtés, blasés et n’apprécient plus les cadeaux. Ils manquent de cadre éducatif et deviennent mal élevés. Ils se sentent de toute manière peu investis et manquent de l’amour et de la présence de leurs parents.
Il vaut mieux remplacer la culpabilité par l’action : au lieu de culpabiliser, les parents peuvent discuter avec leurs enfants pour leur expliquer qu’ils les aiment plus que tout, aimeraient vraiment passer plus de temps avec eux, mais qu’ils ne peuvent pas diminuer leur temps de travail. Par contre, ils souhaitent bloquer une demi-heure le soir pour passer un moment privilégié à lire une histoire, discuter, jouer… On peut d’ailleurs passer un bon moment avec ses enfants, tout en préparant le repas ou en repassant.
Au mieux, bien sûr, il est toujours préférable de réduire son temps de travail ou ne pas travailler le mercredi après-midi, lorsque c’est possible.
Agir au lieu de culpabiliser est mieux pour tout le monde : le parent ne souffre plus de s’en vouloir et les enfants sont plus heureux et mieux élevés (plus de cadeau ni de laxisme induits par la culpabilité).
De même, lorsque nous avons causé du tort ou blessé une personne, il est plus utile pour tout le monde d’agir plutôt que de culpabiliser. Notre sentiment de culpabilité nous fait mal et ne lui fait pas de bien. Il vaut mieux s’excuser ou réparer notre faute, ce qui diminuera notre sentiment de culpabilité et réduira l’impact de notre mauvaise action ou mauvaise parole sur cette personne.
Si nous apprenons à réparer nos erreurs, à agir de façon plus cohérente et plus humaine, la culpabilité devient inutile.
Au lieu de : « Je suis méchant, je me sens très mal et je culpabilise », il faut apprendre à penser : « Bon, il ne fallait pas que je fasse comme ça. Il faut que je réfléchisse à la façon de réparer les torts que j’ai causés et de faire mieux la prochaine fois ». C’est une façon de voir les choses plus mature et constructive et surtout bénéfique pour tout le monde.
Nous devrions plutôt culpabiliser de trop culpabiliser, c’est-à-dire de nous torturer inutilement. Il est de notre responsabilité de prendre soin de nous et de ne pas nous faire souffrir.
Au moindre sentiment de culpabilité, il faut se poser les questions suivantes :
* Y suis-je pour quelque chose ? (Nous culpabilisons souvent alors que nous ne sommes absolument pas responsables de la situation, notamment les mamans qui se sentent souvent coupables dès que leur enfant a un problème : timidité, comportement, difficultés scolaires, maladie… alors qu’elles n’y sont pour rien).
* Ai-je fait ou dit quelque chose de mal ? Ai-je posé un acte (et non pas seulement ressenti ou pensé quelque chose) ?
* Avais-je vraiment le choix ? Si j’avais le choix, est-ce que ça ne m’aurait pas pénalisé si j’avais agi autrement ?
* N’y a-t-il pas moyen d’agir au lieu de culpabiliser (réparer, s’excuser, trouver comment faire mieux la prochaine fois) ?